Comment l’épopée plusieurs fois millénaire du Râmâyana peut-elle répondre aux questions que se posent de futurs leaders en ce XXIème siècle ? La question interpelle nos esprits cartésiens. Il en va autrement en Inde. Toutes les Business Schools du sous-continent enseignent le Râmâyana, source intarissable d’inspiration, véritable bible à destination des futurs leaders.
Commençons par résumer le Râmâyana[1], une épopée qui occupe une place importante dans la culture indienne. Ce poème sanscrit issu de la littérature védique, et dont les personnages sont des rois, des maîtres spirituels, des incarnations de divinités, des animaux et des démons, est régulièrement mis en scène dans le moindre village indien, offrant à tous, y compris ceux qui ne savent pas lire, de baigner régulièrement dans l’atmosphère inspirante de cette histoire à nulle autre pareille. Les mondes des dieux, des humains et des démons y sont inextricablement mêlés. Tous les indiens connaissent la trame de l’histoire illustrant la personnalité extraordinaire du prince Râma. Fils du roi Dasharath et de la reine Kaushalya, Râma est né dans la dynastie solaire de la lignée d’Ikshvâku. Appelé à succéder à son père sur le trône de la cité d’Ayodhya, le sort en décidera autrement. Littéralement parlant, le Râmâyana est l’histoire d’un prince déchu qui reconquiert son royaume après avoir sauvé son épouse des mains de Râvana, le roi des démons qui l’avait enlevée. Tout au long de ce récit, Râma accomplit de grands exploits en éliminant la négativité et en rétablissant l’état d’ordre et de perfection dans le monde. Beaucoup d’indiens considèrent ce texte comme une source inépuisable d’inspiration à lire et à relire sans fin. A ce titre, le Râmâyana est un véritable livre de développement personnel[2], une bible du leadership.
Page après page, il n’est question que de valeurs idéales incarnées par différents personnages, Râma, son épouse Sita, son cadet Lakshmana et le singe Hanuman occupant le devant de la scène face au démon Râvana. La dévotion réciproque de Râma et de son épouse Sita incarne l’idéal de la relation de couple. Les qualités d’amour et d’attention dans les relations entre parents et enfants sont également mises en lumière. La dévotion profonde de Hanuman envers le prince Râma illustre quant à elle la dévotion au divin et au maître spirituel. Lorsque Sita est enlevée par Râvana, le grand aigle Jatâyu s’interpose, ne reculant pas devant le sacrifice de sa propre vie. Ainsi, un large éventail de situations et d’influences sont contées, intégrant à la fois l’influence lointaine des planètes, les effets du « karma » et la force fondamentale de l’évolution qui pousse à progresser.
Dans nos sociétés modernes, de telles valeurs interpellent. Exemple révélateur à la base de l’intrigue : le respect de la parole donnée est un précepte dont tout leader devrait s’inspirer. Râma accepte l’exil afin que la parole donnée par son père à sa troisième épouse ne soit pas mise en défaut. Valeur après valeur, le Râmâyana remplit admirablement sa mission en tant que livre de développement personnel. Le prince Râma y déploie les qualités du dirigeant idéal, confronté au démon Râvana, un leader sous l’emprise aveugle de la passion, enclin à prendre de mauvaises décisions. En termes modernes, Râvana est atteint du syndrome d’Hubris [3]. L’affrontement entre Râma et Râvana illustre la bataille pour le contrôle de l’action qui met en jeu deux impulsions opposées, l’impulsion de la passion et l’impulsion du devoir que les indiens appellent Dharma. Incarnée par Râvana, l’impulsion de la passion se traduit par un manque de discrimination alors que l’impulsion du Dharma repose sur une évaluation empreinte de sagesse du but de l’action. Râma incarne cette impulsion qui n’est autre que la voie de la droiture et de la vertu. Comme le ferait n’importe quel dirigeant éclairé, tout au long de cette épopée, Râma inspire et dirige l’action de la bataille contre Râvana en apportant soutiens et conseils à tous les combattants engagés sur le champ de bataille.
L’histoire ne s’arrête pas à ces deux figures emblématiques. Les récits d’avatars, de rois, de Rishis[4], de Dévatas[5] et de Rakshasas[6] comportent également des enseignements applicables au monde de l’entreprise. Valeurs et comportement idéaux y côtoient complots entre familles et batailles impliquant de nombreuses espèces d’êtres. Autre point remarquable, le récit accorde une grande importance à la direction de l’Est, considérée comme une divinité à part entière. Tous les personnages du Râmâyana se tournent vers l’Est pour toute action majeure, y compris pour méditer. La science moderne admet depuis peu que les neurones communiquent différemment selon la direction que nous regardons[7]. Le cerveau fonctionne parfaitement dans la direction de l’est, y compris lorsque la personne se trouve dans un bâtiment. En revanche, d’autres études[8] montrent que le cerveau est perturbé dans un bâtiment mal orienté, entrainant des troubles physiologiques, psychologiques et comportementaux.
Imprégnant l’ensemble du récit, l’expérience de la transcendance par la méditation favorise le développement de Râma en termes de personnalité et de leadership. Les recherches scientifiques montrent que l’expérience de la transcendance par la pratique de la méditation transcendantale développe les qualités idéales incarnées par le prince d’Ayodhya : honnêteté, compassion, intelligence, capacité à prendre de bonnes décisions, sens moral, créativité, conscience de soi, etc. Ce développement de la personnalité a été montré au cours des années 70 grâce aux tests du Personal Orientation Inventory[9] et du Northridge Development Scale[10]. Le thème de l’adaptation conjugale dans le cadre du mariage a également fait l’objet de recherches. Conduite par Elaine et Arthur Aron, l’une d’entre elles a été publiée dans la revue Psychological Reports[11]. Dix-sept femmes mariées ayant appris la méditation transcendantale ont été comparées à dix-sept femmes ne pratiquant aucune technique. Ces femmes ont été appariées en fonction de la durée de leur mariage, de leur âge et de leur quartier de résidence. Aucune ne savait pas que l’étude était en rapport avec la pratique de la méditation transcendantale, ni qu’elles avaient été contactées parce qu’elles méditaient. Résultat ? Les femmes du groupe pratiquant la méditation transcendantale jouissaient d’une plus grande satisfaction conjugale par rapport à celles du groupe de contrôle. En outre, la satisfaction était plus marquée lorsque la pratique était régulière. La méditation transcendantale aide ainsi à prévenir la discorde conjugale tout en développant les plus hautes qualités du leadership.
Au travers de multiples situations, le Râmâyana enseigne les différentes étapes sur la voie du management, une sorte d’histoire du développement de la conscience grâce à la pratique de la méditation. La neuroplasticité du cerveau en fait un instrument dont on peut constamment améliorer le fonctionnement.
Le Râmâyana est à découvrir par tous ceux qui veulent comprendre pourquoi de nombreux managers imprégnés de cette tradition ont pris les rênes de nombreuses entreprises américaines.
Article de Jo Cohen, paru dans Forbes Magazine, reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.
[1] L’épopée du Râmâyana est rapportée en vers écrits en sanscrit par Valmiki, un brigand qui détroussa un jour deux sages qui changèrent le cours de sa vie et en firent un sage. Il existe des traductions plus ou moins complètes de ce long texte dans toutes les langues. En Français, la plus complète est publiée chez Gallimard. On trouve une version courte aux Editions Dervy. La plus courante est « Le Râmâyana conté selon la tradition orale » publié chez Albin Michel dans la collection Spiritualités Vivantes.
[2] Cette catégorie de livres connaît un développement explosif tant l’homme moderne a besoin d’inspiration dans sa vie quotidienne. Chiffre révélateur de cette soif de valeurs : la vente de livres de développement personnel génère plus de 10 milliards de profits chaque année aux seuls Etats-Unis !
[3] Voir à ce sujet https://www.forbes.fr/management/syndrome-dhubris-prevenir-cette-maladie-avec-la-meditation-transcendantale/
[4] Les Rishis sont des êtres humains évolués en termes de conscience.
[5] Les Dévatas sont des êtres divins incarnant certaines lois de la nature.
[6] Les Rakshasas sont des démons.
[7] Reference: Progress in Neurobiology 13 (1979): 419-439; Journal of Neuroscience 15 (1995): 6280-6290; and Processing the Head Direction Cell Signal: A Review and Commentary’, Brain Research Bulletin 40 (1996): 477-486.
[8] Elles sont publiées dans la revue scientifique Journal of Social Behaviour and Personality.
[9] Etude de Larry Hjelle : « Trenscendantal meditation and psychological health », Université de Californie.
[10] Etude de Ferguson et Gowan, Université de Californie.
[11] Psychological Reports, Volume 51, Numéro, pp 887-890