Leadership et pouvoir
La position particulière du dirigeant
Le dirigeant occupe une position unique de pouvoir qui peut l’éloigner de ses employés, le plonger dans la solitude : « un leader, à son tour, devra pouvoir assumer de prendre des décisions impopulaires et devra assumer la critique, la distance, l’incompréhension de son entourage : la “solitude du chef’. » 1
C’est souvent en ayant recours au coaching que le dirigeant peut se permettre de briser cette solitude.
A travers mes voyages j’ai pu croiser toutes sortes de personnes et bien sûr aussi des personnes de pouvoir. Une telle rencontre est marquante et ne laisse pas indifférent. Comme quand on s’approche d’un champ magnétique important, il y a une réaction forte d’attraction ou de répulsion qui opère, et rarement de la neutralité. Ma rencontre avec des hommes de pouvoir laisse entrevoir une problématique qui leur est spécifique : le désir d’avoir la maîtrise sur l’autre, soit par un rapport de forces, soit par une attitude de mentor, quelquefois une attitude paternaliste. L’autorité et la séduction sont des armes pour celui qui veut prendre le contrôle.
Pour développer mon autonomie, j’ai dû exercer mon esprit critique, garder mon jugement, mes valeurs en face de personnalités qui agissent avec un magnétisme fort et polarisent les personnes qui gravitent autour d’elles.
Il faut exercer un contre pouvoir, et développer une force intérieure pour assumer de tels défis. Et cela ne s’apprend pas dans les salles de cours mais en situation. C’est ce qui me permet d’actualiser une telle expérience dans le domaine du coaching de dirigeants.
Quelles peuvent être les réactions du coach face à une personne qui vit au quotidien cette problématique du pouvoir ?
Les signes physiques du pouvoir
Le pouvoir du dirigeant c’est sa puissance : il dicte les lois et les fait appliquer.
On parle souvent du feu du pouvoir. Les exemples historiques ont montré que cet exercice du pouvoir n’est pas neutre. « Le pouvoir tend à corrompre et le pouvoir absolu corrompt absolument. » 2
Le pouvoir du dirigeant lui permet de contrôler l’environnement et plus particulièrement l’autre à travers cet environnement, notamment au travers de règlements. De façon ultime, le pouvoir permet de s’emparer des représentations d’autrui et aussi d’influer sur son comportement.
L’exercice du pouvoir change la personne et les modifications relevées sont « aussi bien physiologiques (production de neuromédiateurs ayant un effet tonique et un effet euphorisant, lesquels créent une accoutumance) que cognitives (construction d’une pseudo réalité conforme au désir : image de soi déformée, attributions causales égocentriques, sentiment de perte de contact avec le réel). » 3
On a trouvé « des effets psychotropes du pouvoir : désinhibant, anxiolytique aphrodisiaque. » 4
De plus, le dirigeant bénéficie d’un pouvoir dont le coach dans son accompagnement ne dispose pas. Il est tout puissant par rapport à son entreprise. Il peut décider d’en sacrifier une partie pour la maintenir en vie. Il peut décider de licencier une personne gênante et se servir d’un coaching tripartite pour s’en débarrasser. Le coach s’il n’exerce pas de vigilance peut se retrouver ainsi instrumentalisé.
La question du pouvoir sur l’autre ou pour l’autre prend une plus grande dimension car avec la puissance du dirigeant les enjeux peuvent être importants en moyens financiers, en influence sur les hommes, et cela peut affecter la posture du coach. Le coach se présente comme une personne ressource pour le dirigeant accompagné. Mais en dehors du coaching le dirigeant peut devenir une personne ressource pour lui, le favoriser professionnellement, lui ouvrir des portes, le recommander dans un milieu professionnel plus favorable.
Cette situation peut soulever des problèmes d’ordre déontologique et éthique. Le pouvoir du dirigeant peut provoquer un contre-transfert, avec de l’envie ou une admiration chez le coach, et ceci peut influer sur sa neutralité. D’où le dilemme dans l’intervention de satisfaire et d’éviter de déplaire.
Enfin le coach qui se prévaut d’une spécialité dans la relation à l’humain, peut se retrouver en compétition avec son client dans ce même domaine. Le dirigeant peut également faire preuve d’une compétence dans la relation à l’humain qui a été acquise par l’expérience du pouvoir.
La question est donc pour le coach de dirigeant de voir jusqu’où il s’est penché sur cette problématique du pouvoir et s’il peut mener à bien son accompagnement dans une distanciation appropriée.
Où le coach en est-il dans son rapport au pouvoir ?
A-t-il un sentiment d’aise, d’envie, de regret, ou de rejet ? Ressent-il de l’admiration, de la fascination, ou au contraire de la gêne, du dégoût ?
Les valeurs développées par le dirigeant choquent-elles les valeurs du coach ? Ou bien y font-elles écho et les amplifient-elles ?
Y a-t-il une réaction de polarité, « une admiration ou une soumission excessive chez le coach qui ne sait plus travailler que dans la séduction, voire la flatterie ? » 5
Les signes psychologiques du pouvoir
Nous allons maintenant aborder la face obscure du pouvoir : ses effets psychiques.
A travers les relations de travail, l’entreprise est le lieu où s’exerce le pouvoir entre personnes « le lieu de phénomènes touchant au pouvoir, aux affects, à l’imaginaire, au symbolique et à l’inconscient. » 6
En psychanalyse le pouvoir correspond au phallus : « ce n’est pas le pénis, c’est le signifiant de l’objet du désir. » 7
Il y a un effet addictif à l’exercice du pouvoir.
« La dominodépendance s’exerce dans trois grands registres, alternatifs, c’est-à-dire qu’il suffit d’un seul pour mettre sur la piste de l’homme de pouvoir :
– Domino-manie : la quête effrénée et incessante du pouvoir
– Domino-pathic : la folie des grandeurs
– Domino-étayage : l’homme de pouvoir a besoin qu’on lui objecte. »8
Tout ceci peut conduire à une addiction, caractérisée par des troubles de l’humeur en cas de sevrage. Si le pouvoir est perdu, alors le moi est perdu, le phallus est perdu.
L’approche psychanalytique peut nous aider à répondre à certaines questions sous- jacentes à la problématique du pouvoir comme : faut-il être pervers ou machiavélique pour devenir un dirigeant ? « le pervers n’est-il pas le plus efficace dans l’art de manager, de diriger et de commander les hommes ? » 9
L’usage du pouvoir se manifeste dans le cadre de l’entreprise de façons différentes suivant les structures psychiques : « dans le rapport à la Loi c’est la valeur de l’humain. L’hystérique demande à être aimé. L’obsessionnel veut réaliser son œuvre. Le narcissique veut remplir son vide. Le paranoïaque utilise le pouvoir pour dire la vérité. Enfin le machiavélique est hors de toute structure et pose le pouvoir en termes techniques. » 10
Pour le coach il faudra composer avec les personnalités de chacun et trouver le juste équilibre : « la “rationalité” de l’organisation, c’est l’art de pouvoir composer avec les “folies” personnelles (motivation ou désintérêt, amour et haine) comme sociales (absentéisme, moindre zèle, grèves, etc.). » 11
Extrait du mémoire « Le pouvoir du coaching » Yves Pace.
- Lenhardt V. -1992 Les responsables porteurs de sens p145
- John Emerich Dalberg, Lord Acton
- Moral M. et Angel P. -2006 Coaching Outils et pratiques, Éditions Armand Colin, France, p125
- Bernicard H. -2004, Psychanalyste, Intervention au colloque JERC d’Aurillac « Les enjeux Invisibles du pouvoir
- Moral M. et Angel P. -2006 Coaching Outils et pratiques, Éditions Armand Colin, France, p127
- Brunner R.-2009, Psychanalyse des passions dans l’entreprise, Eyrolles, p89
- Brunner R.-2009, Psychanalyse des passions dans l’entreprise, Eyrolles, p62
- Bernicard H. -2004, Psychanalyste, Intervention au colloque JERC d’Aurillac « Les enjeux Invisibles du pouvoir
- Brunner R.-2009, Psychanalyse des passions dans l’entreprise, Eyrolles, p129
- Brunner R.-2010 Séminaire « Approches psychopathologiques du coaching », 3 mai 2010
- Brunner R.-2009, Psychanalyse des passions dans l’entreprise, Eyrolles, p10